
On pourrait croire que ce métier est routinier. Répéter les mêmes gestes, chaque jour.
Mais dans la région, les races et le systèmes d’élevage sont variés, alors on change souvent d’ambiance.
Aujourd’hui, j’ai une tournée de petits lots à mon programme, dans la vallée de la Creuse. Je vais faire plus de kilomètres que de brebis tondues…
On commence avec trente-cinq moutons, chez des Anglais, une femme qui élève surtout des chevaux, avec son fils d’une vingtaine d’années. Lorsque j’arrive, elle me dit qu’elle va rentrer les ânes qui sont en liberté dans la cour, car ils sont curieux et vont nous gêner. Pendant ce temps, je décharge mon matériel du fourgon. « What a fucking donkeys ! » fuse plus loin. Je ris. Ici je travaille mon anglais en même temps que je tonds.
Ni Monique ni son fils ne sont très habitués à manier leurs moutons, et je leur montre comment s’y prendre pour les rassembler, les attraper et les amener jusqu’à mon plancher de tonte, sans s’épuiser ni stresser les bêtes. « You’re heavier than many men ! » me lance le jeune homme.
Nous instaurons qu’ils doivent me parler en français, et moi en anglais. « Sinon les gens ici disent que je ne fais pas d’effort » me dit Monique.
À 10 heures, c’est terminé et je continue ma route. Trois moutons d’ouessant, qui font « tondeuse à petites dents » dans le jardin d’un particulier à vingt minutes de là, puis trois autres encore trente minutes plus loin. Il y en pour plus longtemps de trajet que de tonte, mais il faut bien les tondre…
Je m’arrête déjeuner sur la place de l’église, à Fresselines, sous l’ombre accueillante d’un tilleul.
N’était-ce la crotte de chien à proximité de l’arbre, l’endroit est idyllique. Avant de remonter en voiture, j’entre dans la belle église médiévale. Elle est vraiment jolie, avec quelques vitraux contemporains et des sculptures intéressantes. J’ai toujours un peu de compassion pour St Pierre, chargé d’une clef aussi grosse que lui. Ce n’est pas rien, d’être responsable de l’ouverture des portes du Paradis…


À la sortie du village, un lieu-dit « L’orme ».

Cela me rappelle le temps où j’écrivais mon livre sur ces chers disparus de la campagne, et où je repérais leurs traces dans la toponymie. Je voyais le signe de leur importance, dans l’esprit des Hommes, dans le fait d’avoir nommé des lieux en leur faisant référence.
C’était il y a cinq ans, je commençais juste à tondre les moutons, et donc à sillonner la campagne. Ici, la route est bordée de hêtres et d’érables. Un frêne, aussi, et puis un tilleul et un cerisier dans un jardin. Pas d’orme… comme souvent…
Un coup d’oeil au GPS et je m’aperçois qu’à force de regarder les arbres, je vais être en retard à mon rendez-vous de l’après-midi. Des chèvres angora, qui produisent la laine mohair, à Naillat.
Je termine de les tondre assez tôt pour prendre le temps de m’arrêter auprès d’un vieux tilleul. Selon la pancarte, il aurait trois cents ans. Je l’avais déjà repéré la dernière fois et m’étais arrêtée pour le dessiner. Il est entièrement creux, on peut y pénétrer entièrement, c’est impressionnant. Le dessin de ses crevasses m’inspire des motifs de sculpture, où le bois et la laine s’entrelaceraient.


Certains jours comme aujourd’hui, la tonte est une activité buissonière.